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L'antithèse du selfie

J'ai photographié durant des années des poissons et des hommes. Ce faisant, je réalisais des portraits d'hommes tenant dans leurs mains des poissons trophée. Je continue encore de temps en temps à m'adonner à cette forme d'expression qui a été considérablement dépréciée depuis l'arrivée des selfies.


Les smartphones ont tout changé dans le paysage de la photographie. Ils ont également tout changé dans ma propre pratique, me conduisant un temps à quasiment délaisser mes boitiers et mes objectifs pour la facilité de la photo rapide. Ici je vous offre des pensées sur une photographie traitée en noir et blanc représentant probablement un père de famille photographiant une mère et son enfant.


Nous vivons dans un monde où l'image a rempli tout l'espace. La télévision, les smartphones, les écrans publicitaires dans les rues, les affiches saturent nos yeux de couleurs et d'images qui ont perdu leur sens. Pourquoi ? En raison de la profusion, mais aussi de la facilité. Les portraits sont lissés, parce que tout doit apparaître parfait, et derrière ces routines informatiques qui fabriquent de l'image à la chaine, il y aurait 10 000 choses à dire...


Je ferais court, et je me contenterais d'expliquer pourquoi cette phooto m'a attiré. Un photographe se reconnait à son attitude. On ne met pas un smartphone sur son oeil, on pose son oeil sur l'écran du smartphone. J'aime les photographes, qu'ils soient amateurs ou professionnels. J'aime les photographes car ils ont le choix de maintenir en vie la vérité et l'authenticité.


On dit souvent que le noir et blanc accentue les émotions, mais je dirais personnellement qu'il est reposant. Nos yeux se reposent en regardant ce qu'il y a à voir plutôt qu'en saturant de couleurs poussées par les iA de nos téléphones. C'est à 'échelle de l'humanité que s'est développée cette voie de la saturation. Nous avons fini par vivre dans un monde totalement artificiel où les poses et les postures n'ont plus rien de naturel, où nos téléphones stockent tellement de photos que nous ne les regardons plus jamais. Que dire ensuite de la conservation dans le temps de ces moments parfois très rares ?


Qui peut garantir la survie dans le temps d'une mémoire informatique ? Si le téléphone tombe à l'eau, il y a le cloud, mais qui dit que la société qui entretient le cloud ne déposera pas le bilan un jour, emportant avec elle la mémoire de millions ou milliards d'êtres humains ?


La photographie trouve tout son sens lorsqu'elle est vue dans sa plus belle nudité. Un noir et blanc est comme un nu, il est dénué de messages colorés. Ne restent plus que l'émotion que l'image appelle en nous, comme cette famillle qui crée un instant totalement différent d'un selfie : il s'agit d'une communion qui fera souvenir s'il est imprimé sur un beau papier. Si la thèse consiste à se photographier pour être aimé(e), l'antithèse consiste à figer sur le papier celles et ceux que l'on aime.


La photographie reste et restera un art, quelles que soient les évolutions technologiques. L'esprit et l'émotion feront toujours la différence entre l'homme et la machine. Photographiez et imprimez ! Ceci est un cri d'hommage à l'authenticité.

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